D’un théâtre à une piscine au musée, le destin de deux œuvres du XIXe siècle

« Gilliatt et la pieuvre » d’Emile-Joseph Carlier et « Persée et la Gorgone » de Laurent Marqueste sont deux sculptures en marbre de la fin du XIXe siècle exposées au musée des beaux-arts de Lyon. Du début des années 1930 à la fin des années 1990, ces deux œuvres furent mises en dépôt par l’État à Villeurbanne et installées successivement dans le foyer du théâtre municipal puis au centre nautique Étienne-Gagnaire.

L’une représente Gilliat, personnage du roman Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, affrontant une pieuvre ; l’autre figure Persée, héros de la mythologie grecque, s’apprêtant à trancher la tête de la gorgone Méduse (l’un et l’autre sont reconnaissables à leurs attributs : casque sur la tête, manche d’épée à la main et sandales ailées aux pieds pour lui – cadeaux des dieux pour lui permettre d’accomplir la tâche de tuer Méduse –, chevelure formée de serpents pour elle).

  • Laurent Marqueste (1848-1920), Persée et la Gorgone, 1890, musée d'Orsay, en dépôt au musée des beaux-arts de Lyon

Étonnant destin que celui de ces deux œuvres ayant été reléguées à l’entrée d’une piscine dans les années 1970, elles qui constituent aujourd’hui l’un des principaux attraits des collections de sculptures du musée des beaux-arts de Lyon, l’un des plus importants en France. Les deux œuvres furent acquises par l’État en 1890, année de leur réalisation, au salon des artistes français, et présentées par la suite pendant quarante ans au musée du Luxembourg à Paris. En 1933, elles sont déposées (c’est-à-dire prêtées à long terme) à Villeurbanne certainement pour accompagner l’achèvement des Gratte-Ciel et participer à la décoration des nouveaux équipements publics.

D’autres dépôts sont réalisés au même moment : le Parfum de Pierre Octave Vigoureux est encore visible aujourd’hui rue Paul Verlaine dans un renfoncement du TNP et la sculpture Devant l’amour d’Emile Fernand Dubois est placée dans la grande galerie de l’hôtel de Ville. Villeurbanne mène dans les années 1930 une politique artistique ambitieuse. La municipalité commande au sculpteur Jean-Jules Pendariès la réalisation du « Répit » pour marquer l’entrée de l’avenue Henri Barbusse et à la sculptrice Marie-Louise Simard un buste d’Albert Thomas pour la place du même nom, aujourd’hui place Lazare Goujon (la place est débaptisée par le régime de Vichy et le buste fondu).

Une photographie rare des années 1930 conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon permet de découvrir la présentation originale des deux œuvres qui nous intéressent : sur deux socles face à face, dos à un miroir, dans le foyer du théâtre municipal. La date de dépôt (1933) mentionnée par le musée d’Orsay auquel les œuvres sont désormais rattachées laisse supposer que les œuvres étaient prêtées pour décorer le théâtre municipal, inauguré l’année suivante. En l’absence de sources précises, il est difficile de restituer les mouvements des œuvres et de savoir notamment si celles-ci ont subsisté aux changements de directions et de noms du théâtre (théâtre de la cité puis théâtre national populaire). On sait que « Persée et la Gorgone » et « Gilliatt et la pieuvre » sont installées dans les années 1970 à l’entrée du nouveau centre nautique Etienne Gagnaire (peut-être à l’occasion des travaux d’agrandissement de l’ancienne piscine de Cusset terminés en 1976 ?), témoignant du changement de goût de l’époque et du peu de considération accordée à la valeur esthétique et historique de ces deux œuvres.

Foyer du théâtre municipal de Villeurbanne avec les deux sculptures. Photo : Jules Sylvestre, années 1930, Bibliothèque municipale de Lyon.

Le théâtre et la piscine surtout étaient peu appropriés à la présentation de ces œuvres d’art, si ce n’est l’évocation du miroir (écho à la légende de Méduse dont le regard transformait en pierre quiconque le croisait, sauf si il était perçu à travers une surface réfléchissante) et l’analogie entre la pieuvre et l’environnement aquatique. Les deux sculptures sont transférées et attribuées en 1999 au musée des beaux-arts de Lyon ; une restauration est engagée pour effacer les outrages du temps. Elles sont aujourd’hui visibles dans le cloître (en accès libre) et la chapelle du musée, dans un environnement propice à leur mise en valeur, entourées d’un ensemble important d’œuvres du XIXe et du XXe siècle propre à contextualiser leur création.

Sans être des chefs-d’œuvres, ces sculptures représentatives du goût de leur époque, sont remarquables par l’expressivité des figures – plus grandes que nature –, le traitement réaliste des corps et le soin accordé aux détails par leur auteur : Laurent Marqueste (1848-1920) et Emile-Joseph Carlier (1849-1927). Il s’agit de deux œuvres dont les versions en plâtre puis en marbre furent achetées par l’État, des copies et réductions furent réalisées. Plusieurs versions de ces œuvres sont visibles au musée des Augustins à Toulouse, au musée des beaux-arts de Valenciennes et à la Ny Carlsberg Glyptotek à Copenhague. Si leur juste place est au musée, il n’en demeure pas moins dommage de ne plus pouvoir les admirer à Villeurbanne où les œuvres conçues avant 1930 se comptent sur les doigts d’une seule main.

Aller plus loin :

  • Visite des collections du musée des beaux-arts de Lyon. Le musée est ouvert du mercredi au lundi de 10h à 18h (le vendredi à partir de 10h30), droits d’entrée : 8€/4€/0€ (cloître en accès libre).
  • Catalogue des sculptures du XVIIe au XXe siècle du musée des beaux-arts de Lyon, Editions Somogy, MBA Lyon, 2017.

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