De la place de la Cité au rond-point du Totem 2/2
Le Totem signale depuis 1981 l’une des entrées de Villeurbanne, il est devenu au fil des années un emblème de la ville. Cette sculpture de Guy de Rougemont a donné non seulement son nom à plusieurs enseignes à proximité mais aussi au quartier alentour, au point de faire oublier parfois la toponymie de la place. Avant d’être nommée Albert Thomas, la place pris le nom de Cité Napoléon au XIXe siècle puis de place de la Cité.
L’érection du Totem en plein centre de la place a modifié son aspect, sans pour autant le bouleverser. La comparaison de vues actuelles avec des cartes postales anciennes permet de le vérifier. Les cartes éditées au début du XXe siècle privilégient généralement le point de vue en direction du prolongement du cours Tolstoï vers la place Grandclément, c’est-à-dire la portion comprise entre l’actuelle rue du 4 août et l’avenue Marc Sangnier.
On distingue plusieurs commerces : à gauche le bâtiment de la Société Générale (implantée en 1900, l’annexe existe toujours), le café-comptoir de la Poste (aujourd’hui café Lobut) et la société lyonnaise de dépôts et de crédit industriel. On peut dater la plupart des vues entre 1900 et 1920 : les cachets et annotations manuscrites indiquent 1904 (photo 5), 1907 (4), 1910 (2), 1911 (image à la une), 1920 (1).
Sur la carte, reproduite ci-dessus, on distingue deux autres enseignes. Il est malheureusement impossible de déchiffrer autre chose que « jeux de boules » et mercier (sans que l’on puisse savoir si il s’agit d’une mercerie ou d’un nom de famille).
D’autres vues permettent d’apprécier à titre rétrospectif la physionomie et compléter la vision de la place au début du XXe siècle. Outre le Totem, une différence majeure peut être constatée entre hier et aujourd’hui : le tramway. La place de la Cité était traversée par la ligne de tramway qui reliait les Cordeliers à la place Grandclément soit le centre de Villeurbanne à cette époque (l’hôtel de ville actuel et les Gratte-ciel ayant été construits dans les années 1930). Plusieurs publicités sont visibles sur les flancs et les arrières de tramway pour le Chocolat Menier, Byrrh (une marque de quinquina créée dans la seconde moitié du XIXe siècle) et Kodak, autant de marques indissociablement liées à la fin du XIXe et aux débuts du XXe siècle. Le tramway a aujourd’hui été remplacé par le bus C3 qui emprunte un tracé semblable. La présence de rails explique peut-être le décentrement du réverbère, à moins qu’il ne s’agisse de l’emplacement original où s’élevait la colonne supportant la statue de Napoléon entre 1839 et 1870.
Les vues aériennes anciennes permettent d’apprécier le rond parfait dessiné par les immeubles et murs de clôture jusque dans les années 1960, décennie où l’usine entre le cours de la République et la rue du 4 août est écroulée, et 1990 où l’immeuble incurvé entre l’avenue Marc Sangnier et le cours Tolstoï est démoli et remplacé par un immeuble vaguement inspiré du totem. Aujourd’hui, des immeubles (parfois hauts, jusqu’à huit ou quatorze étages) ont remplacé les quelques villas et nombreuses usines sur place.
La comparaison de vues anciennes avec la réalité contemporaine permet de se rendre compte que la place a plus changé depuis l’érection du Totem jusqu’aujourd’hui (c’est à dire en quarante ans) qu’entre 1900 et l’érection du Totem sur une période deux fois plus longue. Si le quartier semble moins pittoresque aujourd’hui qu’il ne l’était au début du XXe siècle, des aménagements récents ont permis néanmoins de rendre plus agréable la place, notamment par la plantation d’arbres, le réaménagement du cours Lafayette et la diminution de la place accordée aux voitures ces dernières décennies. La transformation du Totem en rond-point, au mépris des intentions de l’artiste et au détriment de ses fondations (les trois marches en granit à sa base entourées de la fameuse “corolle en quatre couleurs de basaltine joliment découpée comme un col de dentelle” évoquée dans le premier volet), est cependant regrettable. Force est de constater que l’œuvre de Guy de Rougemont s’est imposé rapidement à Villeurbanne, au point de faire oublier la toponymie réelle de la place et donner son nom à plusieurs enseignes alentour : pharmacie du Totem, bureau de poste, bar, boucherie, restaurant collectif (le “restotem”).
La place Albert Thomas en cinq dates :
- 1839 : érection d’une colonne supportant une statue de Napoléon 1er au centre de la place, l’œuvre est démontée en 1871 après la fin du Second Empire.
- 1881 : ouverture de la ligne de tramway Cordeliers (Lyon) – Grandclément (Villeurbanne).
- 1900 : création d’un bureau de la Société Générale à l’angle du cours Tolstoï et de la rue du 4-août, l’annexe existe toujours aujourd’hui.
- 1945 : la place prend le nom d’Albert Thomas (1878-1932), anciennement attribué à l’actuelle place Lazare-Goujon (débaptisée par le régime de Vichy, la place prend le nom de “place de la Libération” à la fin de la Seconde Guerre Mondiale).
- 1981 : conception du Totem par Guy de Rougemont, l’œuvre est inaugurée le 26 juin.